On avait laissé La Rumeur, groupe phare de la scène hexagonale, sur une impression mitigée avec leur album précédent "Regain de tension". Les revoici donc avec leur nouvel opus, "Du cœur à l’outrage" dont l’objectif est de prouver que la sortie précédente n’était qu’un incident de parcours (et encore) plutôt que le déclenchement d’un irrémédiable déclin artistique du groupe. Et à l’écoute de l’album, c’est limpide, l’objectif est atteint. Tel Picasso dont l’œuvre était directement lié aux évènements marquant de sa vie avec ses périodes bleu et rose, chaque sortie de La Rumeur semble profondément imprégnée d’un fait marquant pour le groupe. Et après le procès devant la justice française sur "Regain de Tension", il semblerait qu’une des principales sources d’inspiration au moment de l’écriture de "Du cœur à l’outrage" soit les émeutes des banlieues de fin 2005. Et une source d’inspiration fertile si l’on en juge la qualité de morceau tel que "Qui ça étonne encore ?" ou "La meilleure des polices".
Au niveau des individualités et de leur organisation au sein du groupe, chacun des 3 emcees principaux (Mourad étant une fois de plus largement en retrait) posent chacun 2 fois en solo. Amorcé lors des opus précédant, la montée en puissance du Bavar se poursuit pour finalement le placer sur la même ligne que Hamé et Ekoué, les leaders "naturels" (surtout Ekoué) de la formation. Tous, en tout cas, ne dérogent pas à leurs bonnes vieilles traditions, faites de réflexions et de militantisme renouvelé.
Pour mettre un bémol à tout ça, force est de constater qu’il y a plusieurs titres où j’ai vraiment beaucoup de mal à accrocher. Comme ce fut le cas sur l’album précédent, cela est dû à des beats bizarres et métalliques accompagnés par des flows inadaptés. Ce qui est d’autant plus dommage, c’est que cette mauvaise impression dégage de plusieurs chansons, dont les 3 premières ! Mauvais calcul que de mettre ses 3 plus mauvais représentants là où les meilleurs devraient figurer pour accrocher l’auditeur à la suite. Heureusement, dès le 4e track, le conceptuellement magnifique "La meilleure des polices" de Hamé balaie ses légères déceptions initiales d’un revers de la main et met tout le monde d’accord. Signalons aussi la belle et lugubre narration d’Ekoué sur "Quand la lune tombe" et son cortège d’images littéraires. A vrai dire, dans leur style respectifs, c’est une tripotée de titre remarqués et remarquable tels "Là où poussent mes racines", "Nature morte", "Tel quel", "Du sommeil, du soleil, de l’oseille", etc. ou encore ce "Je suis une bande ethnique à moi tout seul" qui sonne comme un clin d’œil à Renaud et un hommage à Noir Désir par l’entremise de Tessot-Gay présent à la guitare.
Bref, "Du cœur à l’ouvrage" est une production artistique totalement aboutie, à la qualité proche de celle affichée par les trois premiers volets presque 10 ans auparavant (!) qui resteront malgré tout, selon moi, les références ultimes et pour l’instant inégalées de La Rumeur.